dimanche 17 décembre 2006

Les "Lunettes à Frédéric" ou comment "voir ce qui ne se voit pas". Mode d'emploi. Par Emile JAPPI


Pour ceux qui m'auraient oublié, je vous transcris ma notice parue dans le Who's Who avant le scandale qui m'obligea à abandonner brutalement mon portefeuille de ministre des finances :


Who's Who

JAPPI (Emile, Marie), Inspecteur des finances,

né le 15 août 1939 à SARLAT (Dordogne).

Fils de Jules JAPPI, inspecteur des finances

et de Mme, née Marie de COURTEMONTE.

Divorcé de Melle Yvonne GALLEY (un enfant : Vincent).

Etudes : Lycée Henri IV et faculté de droit de PARIS.

Diplômes : licencié en droit, diplômé de

l'Institut d'Etudes Politiques de PARIS,

Carrière : élève à l'Ecole Nationale d'Administration

Inspecteur adjoint des finances,

Inspecteur des finances,

Directeur adjoint des finances extérieures,

Conseiller technique au Secrétariat Général

de la Présidence de la République, directeur du Trésor,

Secrétaire d'Etat au Budget,

Ministre de l'économie et des finances.

Décorations : chevalier de la Légion d'Honneur,

Officier de l'Ordre National du Mérite,

Membre du Groupe des Trente, du Siècle,

Président de l'Association des Amis de Georges CLEMENCEAU,

Oeuvres et travaux : A la Recherche d'une nécessaire planification libérale

Adresse : Logis de SENGRESSE MUGRON 40250


Note de l'Editeur,


De Chine, où il s’était retiré, Emile JAPPI, l’ancien ministre des Finances, m'adressa ce manuscrit en me demandant d'attendre un an pour le publier. Ce délai lui était nécessaire pour achever la fabrication à grande échelle des Lunettes à Frédéric. La publication de cet ouvrage marquera le point de départ de leur distribution sur le marché français.

PRELUDE Mardi noir à BERCY


CHAPITRE I Mes deux familles


CHAPITRE II Les crimes d’Emilio JAPPI


CHAPITRE III Vincent


CHAPITRE IV Les lunettes à Frédéric

CHAPITRE V Hypnose chez le professeur RAVANEL


CHAPITRE VI Epilogue




PRELUDE



Mardi noir à BERCY



Mardi 18 heures, dans mon bureau de ministre des Finances.

Je préparais mon intervention au Conseil des Ministres du lendemain quand Jean RENARD, mon chef de cabinet, entra décomposé dans mon bureau. Ses mains tremblaient. Il me tendait le numéro du Canard enchaîné du lendemain.

Un titre énorme en coupait la première page :

" Les finances de la République française aux mains du petit-fils du parrain sicilien, Emilio JAPPI! ".

Et en sous-titre :

"Information communiquée par les services spéciaux italiens à leurs homologues français"

L'article reprenait, en effet, une note confidentielle de la DIA, la police anti-mafia italienne, qu’accompagnait un organigramme des principales « famiglie » de la COSA NOSTRA sicilienne.

Après un long cheminement, les recherches initiées par le général Dalla Chiesa peu de temps avant son assassinat, étaient remontées aux trois principaux chefs historiques de la "pieuvre" : Vito GENOVESE, Giuseppe MASSERIA, Al Capone. Au dessus d'eux, dans l'ombre, véritable "parrain des parrains", Emilio JAPPI, mon grand-père.

Cette note attirait l'attention du gouvernement français sur la situation d'un de ses ministres et sur les risques de chantage qui pouvaient peser sur le titulaire d'un poste clé en matière financière et fiscale.

Le coup était terrible. Le document datait de plus de trois mois. Mon collègue, ministre de l'intérieur ne m'en n'avait rien dit. A l’évidence au courant, ni le premier ministre ni le Président de la République n'avaient cru bon de m'alerter ou de m'interroger. Dans leur esprit, j'aurais donc intentionnellement caché ce lien de parenté si proche. Cette volonté de secret de ma part ne justifiait-elle pas tous les soupçons ?

Je décidai de mettre fin immédiatement à ma carrière politique, une des plus brillantes et prometteuses de ma génération : Directeur du trésor à trente et un ans, Secrétaire général du gouvernement, à trente-cinq et Ministre des finances à trente-neuf.

Je rédigeai sur le champ ma lettre de démission. Puis, je convoquai les membres de mon cabinet et leur expliquai que pas plus que mon père, je n'avais jamais su qui était cet homme dont nous descendions et dont nous ignorions tout. Ensuite, avec mon directeur de cabinet, je rédigeai les consignes pour mon successeur et préparai des sorties honorables pour mes proches collaborateurs.

Mercredi 10 heures, Conseil des ministres.

Atmosphère lourde.

Alors que l'article du Canard enchaîné devait occuper tous les esprits, aucune allusion n'y fut faite. J'attendis la fin de la réunion pour demander au Président de la République l'autorisation de prendre la parole. En quelques mots, je mentionnai l'article, rappelai le destin de mon père, tué dans les corps francs en juin 1940 et celui de ma mère, morte, mitraillée par un avion allemand au retour de l'identification du corps de son mari. Orphelin de moins d'un an, j'avais été élevé par ma famille maternelle. Jamais l'on n'avait évoqué devant moi la figure de mon grand-père paternel, ni dans ma famille, ni dans mon entourage, ni dans mon environnement professionnel. J'ajoutai avoir été meurtri plus que tout par le fait qu’aucune des personnes au courant ne m'avait alerté. J'achevai mon intervention par la remise de ma lettre de démission au Président de la République. J'informai le Conseil que je me retirais à la campagne pour y réfléchir en paix. J'assurai que je me tenais à la disposition de toute autorité judiciaire ou administrative souhaitant m'interroger. Puis je me levai, saluai le chef de l'État d'une brève inclination de la tête et m'en allai sans que rien, ni mot ni geste, ne vienne troubler le silence pesant de cet adieu.

Mercredi après midi : départ pour ma maison de campagne dans les Landes

Entre l‘Elysée et le petit village de MUGRON où, peu de temps auparavant j’avais acheté le logis de SENGRESSE, trou noir.

Taxi, aéroport, avion, voiture de location ; mon cerveau avait sombré dans le brouillard. Seuls défilaient, en boucle obsédante, les souvenirs de mon enfance chez les JAPPI et les COURTEMONTE. Hélas, de ma mémoire torturée, n’émergeait nulle trace de mon grand-père.